1944-1960: l’arrivée d’Ernest Michel au Technicum

Ernest Michel. ©La Liberté/Jean-Louis Bourqui

Une nouvelle vision du technicien: l’introduction du CFC obligatoire

Au terme de l’année scolaire 1943-1944, Léon Barbey quitte la direction de l’école. Les trois années suivantes, il officiera en tant qu’aumônier, à Orsonnens (Fribourg), avant de rejoindre Lyon où il fondera un institut de pédagogie. L’abbé est remplacé par Ernest Michel, qui restera à la tête du Technicum durant une trentaine d’année, jusqu’à sa retraite en 1974. Le Fribourgeois insufflera à l’école une orientation nouvelle, en instaurant l’obligation d’être en possession d’un certificat fédéral de capacité (CFC) pour rejoindre la section technique.

«Désormais, l’Ecole d’électromécanique sera scindée en deux Ecoles, celle de mécanique et celle d’électrotechnique. Pour y entrer, et c’est là le point capital de l’innovation, les candidats devront posséder un certificat fédéral de capacité prouvant qu’ils ont terminé avec succès leur apprentissage. Même exigence pour l’Ecole d’architecture.»[1]

Il s’agit d’un changement majeur pour le Technicum. Jusqu’ici, l’école avait fait le choix de la quantité, en accueillant tout technicien, indépendamment de ses capacités. L’introduction du CFC obligatoire signifie que, dès lors, l’on privilégie la qualité. Evidemment, une telle décision n’est pas sans provoquer débat. Dans le rapport annuel de l’année 1944-1945, le directeur justifie sa décision:

«En un mot, nous leur aidons à se créer une personnalité, qualité qui, jointe à l’enthousiasme de la jeunesse, leur permettra d’affronter sans crainte et de vaincre les difficultés de la vie. Pour atteindre ce but, nous sommes obligés de procéder à une sélection assez sévère. Tout élève doué, appliqué, sérieux peut réussir chez nous ; nous lui demandons de fournir un travail intelligent, précis, seule manière d’acquérir une bonne formation. Nos exigences ne sont pas excessives pour l’élève qui aime son métier et qui a la vocation ; elles paraissent dures à celui qui doute de sa vocation.»[2]

Laboratoire d’électricité. Image provenant du livret de fête du cinquantenaire du Technicum, 1946

Cette décision s’inscrit dans la continuité de l’introduction de 3 semestres de cours pratiques en début de cursus, décidée en 1928, qui semblait être, pour les opposants de l’introduction du CFC obligatoire, une meilleure alternative. La crainte principale de ces derniers est que l’élève perde le goût des études. En rejoignant le Technicum immédiatement après sa scolarité obligatoire, l’élève est, comme on dit, encore dans le bain. Mais en intercalant entre ces deux périodes d’étude quelques années d’apprentissage, qui sont, à ce moment-ci, synonyme de travail en industrie et non de cours, l’élève pourrait perdre le goût des études. Ces débats reflètent la manière dont évolue la perception du technicien. Nous y reviendrons plus longuement dans un prochain article.

Le Technicum fête ses 50 ans !

En 1896, le Technicum ouvrait ses portes. Une véritable révolution à Fribourg, qui observe peu à peu la formation professionnelle se mettre en place. En 1946, l’école fête déjà son cinquantenaire. A cette occasion, un jubilé est organisé les 6 et 7 juillet. Le libretto publié à cette occasion débute par quelques mots de l’actuel directeur, Ernest Michel, non sans humour:

«Le carillon de la cinquantaine a sonné pour notre cher et vieux Technicum. Cher ? sûrement, car nous aimons notre école pour tout ce que nous lui devons et lui devrons encore. Une école, c’est une famille avec son passé, son présent, son avenir. Or, tout cœur bien né aime sa famille. Mais vieux ? c’est une autre question. Est-on vieux à 50 ans ? Plus d’un invité aujourd’hui se récriera à ce mot un peu dur et, vérité à bon droit reconnue, proclamera que ce ne sont pas les années qui font l’âge, mais le déclin des forces et la sclérose de l’esprit. Or, les forces de notre école ont crû avec les années et son esprit est plus jeune que jamais, car il suit les idées nouvelles dans ce qu’elles ont de sain et les incorpore à sa vie. Non, il n’est pas vieux notre Technicum.»[3]

Programme des festivités

Image provenant du livret de fête du cinquantenaire du Technicum, 1946

Le demi-siècle du Technicum, est l’occasion, pour un quotidien fribourgeois tel que La Liberté, de rappeler à son lectorat l’importance d’une telle école pour le canton et de présenter le programme des festivités:

«C’est donc demain, samedi, et dimanche, que notre Technicum cantonal fêtera son 50ème anniversaire. Un bel âge et une carrière fructueuse au service du pays tout entier !

Demain, samedi, ce sera la journée officielle de l’Association amicale des Anciens élèves du Technicum, dont voici le programme:

Dès 14 h., bureau de logements et renseignements: maison Pavoni, Aubert et Cie, agence de voyages, place de la Gare 38.

15 h., réception des délégués des sections de la FAETSO, à l’hôtel de l’Etoile; réunion de l’Alt-Activitas au restaurant Continental.

16 h. 30, visite collective des Ateliers du Technicum cantonal ; match de football Technicum cantonal – Collège-Saint-Michel, sur le terrain des Charmettes.

18 h. 30, apéritif en commun au casino des Charmettes.

19 h., banquet officiel des Anciens élèves du Technicum de Fribourg, aux Charmettes.

20 h. 30, grande soirée familière privée, offerte par l’AET.

Voici le programme de cette soirée:

20 h. 30, ouverture officielle: Orchestre Les Charly’s.

21 h., productions des Pinsons, sous la direction de M. le chanoine Joseph Bovet

22 h., Le rang des vaches, chanté par M. Paul Chanex, ténor.

22 h. 15, sur scène, section des dames de la Société fédérale de gymnastique Freiburgia

Ce sera, dimanche, 7 juillet, la journée officielle selon le programme suivant:

8 h. 45, réunion des élèves devant la chapelle de l’Université.

9 h., cérémonie à la chapelle de l’Université, messe basse avec chants par les élèves de l’Ecole ; bénédiction du nouveau drapeau ; allocution de M. l’abbé Schneuwly, aumônier de l’Ecole.

10 h., séance officielle à l’Aula de l’Université ; Fanfare du Collège Saint-Michel ; notice historique par M. le Dr Michel, directeur de l’Ecole ; chant ; discours de M. Brügger, président de l’Association amicale des Anciens élèves du Technicum ; chant ; discours de M. le conseiller d’Etat Piller, directeur de l’instruction publique ; fanfare.

11 h., visite de l’exposition des travaux d’élèves dans les Bâtiments universitaires.

11 h. 45, formation et départ du cortège.

12 h. 15, banquet officiel à l’Hôtel suisse.

15 h., réunion des élèves au restaurant des Merciers ; partie récréative.»[4]

Un programme riche, marqué par la présence de l’abbé fribourgeois Joseph Bovet, le célèbre compositeur du chant «Le Vieux Chalet».

Bilan des activités

Fêter le cinquantenaire du Technicum est également l’occasion de tirer le bilan de l’école et de ses activités. Dans le livret du cinquantenaire, Ernest Michel revient notamment sur le développement des effectifs, qui évoluent au gré des bouleversements économiques. Il faut dire que ces premières 50 années ont connu deux guerres mondiales ainsi qu’un krasch boursier. Malgré ces évènements, de manière générale, les effectifs sont en hausse.

Il est intéressant d’observer que le nombre d’élèves au sein de la section technique connaît une baisse passagère suite à l’introduction du CFC obligatoire. Quant à la section apprentissage, ses effectifs progressent fortement à l’issue de la seconde guerre mondiale, notamment au sein de l’atelier de mécanique:

  • 1944: 45 apprentis mécaniciens
  • 1951: 120 apprentis mécaniciens
  • 1974: 174 apprentis mécaniciens

L’Ecole des arts décoratifs, quant à elle, exerce de moins en moins d’attrait. De 1950 à 1960, le nombre d’élèves ne cesse de chuter pour atteindre, en 1961, une seule classe regroupant une quinzaine d’apprentis.

Evolution des effectifs entre 1896 et 1946. Image provenant de la notice du cinquantenaire du Technicum, 1946.

Au sein de ce même le livret, le directeur expose également les statistiques des diplômés, qui ne sont pas excellentes:

«Sur les 3772 élèves qui ont fréquenté l’Ecole jusqu’à ce jour, 1392 ont obtenu un diplôme ou un certificat de capacité: 612 dans la section technique, 780 dans la section des métiers.»[5]

Total des diplômés. Image provenant de la notice du cinquantenaire du Technicum, 1946.

Naturellement, le directeur sollicite ces données pour justifier sa décision de rendre obligatoire l’obtention d’un CFC avant de rejoindre la section technique:

 «Le nombre des élèves diplômés parait faible si on le compare à l’effectif total; il prouve la sélection qui s’opère dans notre Ecole. Nombreux sont les élèves que nous devons éliminer ou qui quittent de leur propre gré par suite de manque de goût ou de capacités.»[6]

Cinquantenaire de la section féminine de Jolimont

En 1952, la section féminine de Jolimont fête ses 50 ans. Elle avait été créée en 1902, sous l’impulsion de Léon Genoud, qui désirait former des brodeuses afin de faire de Fribourg un centre d’art chrétien. Les jeunes filles sont à la charge des Sœurs franciscaines missionnaires de Marie.

Sept ans plus tard, la section connaît sa première réforme: elle devient l’Ecole industrielle de jeunes filles. En plus de la broderie, les élèves peuvent y suivre des cours de confection de lingerie de famille, de vêtements sacrés, d’orfèvrerie, de maroquinerie, etc.

Dès 1947, la section forme également des maîtresses d’ouvrage manuel, avant que les cours ne soient intégrés à l’Ecole normal ménagère en 1972. Trois ans plus tard, la section fermera. Les différentes formations sont alors intégrées à d’autres institutions.

Ouverture de l’Ecole-atelier de radioélectricité

En 1956, le Technicum ouvre une Ecole-atelier de radioélectricité. Elle accueille 8 apprentis, qui avant de la rejoindre, ont suivi une formation de base d’une année au sein de l’atelier de mécanique. Lors d’une entrevue, François Riedo, ancien directeur adjoint de la HEIA-FR, nous confiait que l’ouverture d’une telle école n’était pas le fruit du hasard. Certes, celle-ci répondait au développement des technologies. Mais en outre, sa création a sans doute été motivée par le directeur lui-même, Ernest Michel, qui était un grand amateur de radio.

De nouveaux crédits d’équipement votés

Comme nous venons de le constater, les effectifs du Technicum ne cessent de croître. Afin de répondre à ce développement, le 2 mai 1956, le Grand Conseil vote de nouveaux crédits pour l’équipement des ateliers et des laboratoires:

  • Laboratoire de mécanique:                                                                          CHF 165’000.-
  • Machines et appareils pour le laboratoire de mécanique:                CHF 130’000.-
  • Laboratoire d’électrotechnique:                                                                CHF 42’000.-
  • Rénovation du parc de machines de l’atelier de mécanique:              CHF 70’000.-
  • Équipement de l’atelier de radioélectricité:                                           CHF 24’000.-

Face à l’accroissement des effectifs, la nécessité de construire de nouveaux locaux devient urgente. Les salles de classes, ateliers et laboratoires commencent à être saturés en ce début des années 1960. Il faut néanmoins attendre 1968 pour qu’une commission se charge d’élaborer un projet et 1975 pour que naisse le nouveau bâtiment. Nous y reviendrons très vite !

Découvrez le blog en PDF, actualisé au fil des publications : https://125.heia-fr.ch/livre-historique


[1] Notice du cinquantenaire, p.11

[2] Rapport annuel, 1944-1945, pp. 4-5

[3] Notice du cinquantenaire p.3

[4] La Liberté, le 5 juillet 1946.

[5] Livret du cinquantenaire, p. 11

[6] Idem