L’informatique est partout et, pour nous autres, nés dans les années 70, formés dans les années 90, l’ordinateur a toujours été là. À l’École d’ingénieurs de Fribourg, la révolution informatique démarre dans le courant des années 70 et se déploie véritablement entre 1980 et 1995.
François Hemmer, dont nous brosserons encore le portrait, joue un rôle de premier plan dans ce domaine. Professeur dans la section d’électrotechnique dès 1969, directeur adjoint dès 1975 et directeur à partir de 1980, il a été «un moteur pour que l’école s’équipe pour l’enseignement de l’informatique. Au début, il s’agissait surtout d’informatique appliquée à l’acquisition de données et à l’automatisation», raconte Jacques Crausaz, lors d’un entretien qu’il nous a accordé durant l’été 2021.
Diplômé de l’école en 1969, en électrotechnique, Jacques Crausaz a été engagé comme collaborateur technique par François Hemmer en 1973, avant de se voir confier des cours de mathématiques, puis d’électronique, tout en se formant dans le domaine de l’informatique-technique. Devenu professeur, Jacques Crausaz a ensuite succédé à François Hemmer au poste de doyen de la filière d’électrotechnique en 1980, lorsque celui-ci devient directeur. Jacques Crausaz a ensuite occupé ce poste jusqu’en 2011, avant de prendre sa retraite en 2015.
L’informatique-technique
En 1977, François Hemmer, Jacques Crausaz et d’autres professeurs et étudiants se lancent dans le développement de leurs premiers systèmes informatiques. Ce premier projet phare, le chronométrage de la course Morat-Fribourg va marquer le rôle nouveau de l’école au service de l’économie: on parlait à l’époque de «collaboration industrielle». C’est un moment clé pour l’École. «Ce projet fédérait des compétences mécaniques, électroniques et informatiques. C’était le premier, conséquent, en informatique. L’école était désormais en mesure de développer et de construire des systèmes complexes basés sur les technologies informatiques. Elle devint proactive et mit ses équipements et ses compétences dans ce domaine au service des PME. Cette première expérience donnera lieu à de nombreux sujets d’étude», note Jacques Crausaz.
«Avec l’informatique-technique, commente-t-il, l’École utilisait des systèmes programmables – du microprocesseur au mini-ordinateur – pour réaliser des appareils et des automates. La demande de l’économie et l’engouement des étudiants pour l’informatique en tant que «technologie de l’information» n’arrivent que bien plus tard. La formation en informatique a alors été réorientée. Les informaticiens d’aujourd’hui sont orientés «logiciel», ils font moins de technique et de développement de matériel. L’informatique-technique, en particulier le développement de «systèmes informatiques embarqués» comprenant à la fois le matériel et le logiciel et devenu l’apanage des électroniciens.»
Dans le rapport de l’année académique 1982-1983, on peut lire: «Quant à l’informatique industrielle, il est presque possible de parler de la tradition qu’a notre École dans ce domaine spécialisé. En effet, dès l’apparition des premiers microprocesseurs, les étudiants ont pu profiter des cours et exercices de laboratoires sur le matériel et le logiciel de ces circuits programmables donnés dans le cadre de l’option informatique de la section d’électrotechnique»[1].
Avancées techniques et transition: l’arrivée de nouveaux professeurs
De nouveaux professeurs sont engagés pour favoriser le développement de la formation en informatique:
«Plusieurs mutations ont été enregistrées pour pouvoir assurer l’enseignement de nouvelles branches, notamment de celles inscrites au nouveau programme de la section d’électrotechnique. Quatre nouveaux professeurs permanents ont ainsi été engagés :
M. Jacques BERSIER, ing. ETS, a été désigné comme professeur responsable de l’enseignement de la construction assistée par ordinateur (CAO ou CAD)
M. Michel RAST, ing. dipl. EPFZ, a été désigné comme professeur responsable de l’enseignement de l’informatique
M. Jean-Luc TINGUELY, ing. dipl. EPFL, a été désigné comme professeur responsable du laboratoire d’électronique industrielle.
M. Ottar JOHNSEN, Dr ès sc. techn., a été désigné comme professeur responsable de l’enseignement des télécommunications»[2].
Nous parlerons de Jacques Bersier et de son rôle dans la conception assistée par ordinateur dans la suite du chapitre. Michel Rast – dont nous brosserons le portrait ultérieurement – deviendra directeur de l’école en 2002, pour succéder à François Hemmer. Après l’ère des physiciens, il n’est guère étonnant de voir deux spécialistes de l’électrotechnique diriger l’école de 1980 à 2012.
Quant à Jean-Luc Tinguely, il ne restera pas très longtemps à l’école. «En mars 1990, Jean-Luc Tinguely et Olivier Glasson se sont associés avec l’idée de moderniser le contrôle des machines de production en utilisant les dernières technologies informatiques. C’est la naissance d’Infoteam informatique Technique, la première société de ce qui deviendra plus tard le groupe Infoteam.»[3]
Ottar Johnsen, qui deviendra la référence de l’école en matière de «traitement du signal», enseignera à l’école jusqu’en 2016.
Mais «[f]ace au développement technologique, un effort important devra être fait très prochainement pour compléter l’équipement informatique de l’ensemble des sections de l’école.»[4] Un autre homme important fait son apparition une année plus tard:
«L’augmentation du nombre des équipements informatiques de l’École a nécessité la création d’un nouveau poste pour la maintenance du matériel et du logiciel de ces systèmes. Depuis le mois de mai, ce poste de responsable des systèmes informatiques est occupé par M. Marcel GREMAUD, Ing. ETS.»[5]
Jacques Crausaz note: «Au travers d’investissements importants, les outils informatiques de conception et de développement des systèmes informatiques et électroniques ont été intégrés à la formation des ingénieurs. Sous la conduite de Dominique Rhême, professeur d’électronique et de Marcel Gremaud, constructeur en électronique, une plateforme informatique d’ingénierie assistée par ordinateur a notamment été installée dans les bureaux de développement et les laboratoires d’électronique. Ces infrastructures joueront un rôle décisif dans le développement des activités de recherche appliquée dans les domaines de l’électronique et de la microélectronique».
Informatique et mécanique
L’informatique exercera également une profonde influence sur la filière de mécanique. Jacques Bersier, sur lequel nous reviendrons dans un chapitre spécial consacré à la recherche, commence à s’intéresser à la conception assistée par ordinateur en travaillant dans l’industrie, au début des années 80. «Je travaillais chez Sulzer, à Winterthour, pour le développement de moteurs diesel marins. Tous les développements étaient réalisés à la planche à dessin. J’ai alors proposé à mon employeur d’intégrer la CAO aux bureaux de développement. Je me suis formé et j’ai pu introduire cela dans l’entreprise.» Ensuite, André Schultheiss lui propose de rejoindre l’école comme professeur. Jacques Bersier accepte, et commence à 20%, puis à 30% avant d’être finalement nommé en 1984.
«J’ai été engagé avec la mission de mettre en place un laboratoire de conception assistée par ordinateur. Au printemps 1987, nous avons pu faire démarrer les premiers cours. Nous avions évalué de nombreux logiciels, et nous avions pour objectif de vraiment développer la modélisation 3D et pas seulement le dessin assisté 2D. Je voulais que les modèles 3D permettent la simulation de la fabrication et du comportement des pièces, tant en statique, dynamique que thermique. Et qu’une même base de données serve à tout cela. C’était vraiment précurseur.»
Ces technologies révolutionnent l’enseignement de la mécanique au sein de l’école.
La naissance des télécommunications
Une autre personnalité marque durablement l’évolution de l’école. En 1990, Antoine Delley arrive à l’école. Le rapport académique 1990-1991 présente son nouveau professeur:
«M. Antoine DELLEY, ing. ETS, exerce son activité dans le domaine des télécommunications dont il est un spécialiste. Nous sommes heureux de pouvoir compter sur ses compétences et de pouvoir lui confier la responsabilité de l’École PTT de techniciens en télécommunications qui s’ouvrira prochainement dans notre école.» C’est chose faite en 1992.
«Antoine était un moteur incroyable qui a fait son début de carrière chez Autophon, à Soleure. Il travaillait dans le développement de la téléphonie, plus spécialement de sa numérisation et sur le développement du visio-téléphone», raconte Jacques Crausaz.
Dès son arrivée à l’École, Antoine Delley joue un rôle leader et sera de toutes les évolutions du domaine de l’informatique et des télécommunications. Lorsque le PST-FR sera créé, il prendra la tête du premier cluster consacré aux Technologies de l’information et de la télécommunication.
«Il était également impliqué dans les commissions de normalisation. Il a ainsi joué un rôle très important pour la crédibilité de l’École et c’est certainement ce qui a permis les investissements de Télécom PTT dans les infrastructures de l’École», ajoute-t-il.
Les liens étroits entre l’École et les PTT avaient été établis par François Hemmer. Ils ont permis à l’École de devenir un leader dans ce domaine. À l’occasion de la cérémonie de clôture de l’année académique 1992-1993, le directeur prononce son allocution:
«Parallèlement à la construction du bâtiment, nous cherchons à étendre nos activités en développant des points forts afin que notre école devienne centre de compétence dans des domaines bien précis. C’est le cas notamment en télécommunications. Grâce à l’appui très important des PTT, nous avons pu créer un laboratoire de télécommunications particulièrement bien équipé. Ainsi, l’EIF [ndlr: l’École d’ingénieurs de Fribourg] a pu développer de nombreuses activités en relation avec les télécommunications.»[6]
Le directeur précise la nature de ce soutien:
«Durant la présente année scolaire, la Direction générale de Télécom PTT a pris en charge les coûts des nouvelles acquisitions du laboratoire de télécommunications, pour un montant d’environ Fr. 535’000.-. Elle a également couvert l’intégralité des frais d’exploitation du laboratoire.
La Direction des télécommunications de Fribourg offre au laboratoire de télécommunications une liaison numérique à faisceau hertzien avec le Mont Gibloux. Elle met également à disposition de l’EIF, à temps partiel, un collaborateur technique en la personne de M. Patrick Gaillet. Son programme d’activités à l’École comprend de l’enseignement à l’École de techniciens en télécommunications ainsi qu’une participation aux travaux pratiques et aux projets de semestre de la classe de télécommunications.»[7]
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[1] Rapport annuel 1982-83, p. 4
[2] Rapport 1984-1985, p. 9-10
[3] https://www.infoteam-group.com/historique/
[4] Rapport 1984-1985, p. 13
[5] Rapport 1985-1986, p. 5
[6] Rapport annuel 1992-1993
[7] Rapport annuel 1994-1995, p.23